Îles Féroé

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Lors de notre troisième soirée aux Îles Féroé, nous avons eu le privilège d’assister à des jam sessions gratuites dans une petite salle de concert en face de notre hôtel à Tórshavn. Et pour ne rien gâcher, la bière aussi était gratuite ! Nous nous sommes installés à l’étage, bénéficiant d’une vue plongeante sur la scène. La présentatrice était Anna Iachino, chanteuse italienne née à Montréal, également poète à ses heures perdues. Elle a appelé sur scène Debbie Cameron, une chanteuse américaine d'origine bahamienne qui a fait carrière dans la musique au Danemark. Elle a une superbe voix chaude et puissante malgré sa physionomie menue. Elle était accompagnée par l’excellent Arnold Ludvig, le bassiste du groupe MonkeyRat, qui jouera avec la plupart des interprètes durant la soirée. Le style musical se rapprochait de la soul et du R’n’B des années 60-70.
Après un tonnerre d’applaudissements, Anna est revenue sur scène pour appeler Deborah Herbert, une afro-américaine de New-York bien portante et très drôle. Elle a cité de nombreuses louanges sur elle, notamment sur sa voix incroyable, si puissante qu’elle n’a même pas besoin de micro… Pourtant, c’est contre toute attente Anna elle-même qui a chanté sur le morceau suivant. Et elle a très bien chanté. Deborah ne faisait que l’accompagner, et encore sa participation était très limitée. Mais il s’agissait surtout d’autodérision : elle était assise sur une chaise et se contentait d’afficher une certaine nonchalance, avec un regard dans le vide dépourvu d’expression, parfois entrecoupée de quelques gestes et quelques mimiques désopilants. Notamment, quand Anna prononçait le nom de Jésus durant le refrain en écartant vivement les bras pour symboliser le Christ sur la croix, elle exécutait le même geste. Cependant, au lieu de le faire en parfaite synchronisation avec elle, elle le faisait volontairement avec un temps de retard, simulant un sursaut de lucidité : son visage s’animait alors d’un sourire niais et elle ouvrait brusquement les bras, pour ensuite en revenir à son air léthargique avec les bras ballants, soulevant des éclats de rire dans la salle. Sa seule performance vocale se limitait à un «Say what?» lancé d’une voix exagérément grosse pour ponctuer chaque refrain, provocant là aussi l’hilarité générale.
Ensuite, un guitariste est venu interpréter deux morceaux, plutôt dans des styles blues et country. Il s’agissait d’un quinquagénaire grand et bedonnant avec une calvitie naissante. Il ne payait vraiment pas de mine, et son absence de charisme détonnait totalement avec les artistes l’ayant précédé. Il paraissait mou et empoté, un peu paumé. Alors, Anna est venue lui demander si ça allait. Il lui a répondu sûr de lui que tout allait bien. Pourtant, il tournait le dos au public, la tête baissée, et se torturait l’esprit à essayer de défaire tous les nœuds qu’il avait faits avec ses câbles. Ce faisant, il a exécuté un geste aussi brusque que maladroit, renversant avec le manche de sa guitare un micro sur son support, qui fait tomber à son tour une guitare également sur son support, laquelle a tapé sur une cymbale dans sa chute. Un véritable château de cartes ! D’autres musiciens se sont alors précipités pour venir ramasser le tout et le mettre en sécurité loin de lui. Là, nous avons craint le pire... Mais quand il s’est mis (enfin !) à jouer, c’était magique : ce n’était plus le même bonhomme, et sa virtuosité était bluffante ! Il était dans son élément. Il jouait à la perfection et avec finesse malgré ses doigts boudinés et ses mains pataudes, comme si son instrument le transformait, le transcendait.
Des performances diverses se sont enchaînées. Et pour finir en apothéose, certains des interprètes se sont réunis pour un bœuf d’enfer ! Anna chantait avec Debbie Cameron et Deborah Herbert. Bien évidemment, Arnold Ludvig était de la partie, ainsi que quelques autres artistes. À un moment, Deborah est allée s’asseoir devant la batterie, et là on s’est dit : «waouh ! Elle joue aussi de la batterie, ça va être énorme !» Nous nous imaginions déjà un solo mémorable pour un véritable bouquet final. Mais en fait, elle s’est contentée de regarder la charleston avec les yeux d’une enfant qui en voit une pour la première fois. Puis, elle a soulevé la cymbale supérieure de ses deux mains pour la relâcher et la laisser tomber sur la cymbale inférieure dans un pauvre bruit, la regardant avec de grands yeux ébahis. En fait, le bouquet final n’était pas un solo de batterie, mais une barre de rire à nous péter le ventre !


Publié le 31 janvier 2021